La recherche et la pédagogie forment la charpente du projet SYNEKINE, sur laquelle s’articulent les réalisations artistiques. Tout part du constat que les langues, dans leurs développements historiques, cahin-caha, semblent aujourd’hui trop éloignées d’une de leurs fonctions primordiales:

L’expression des émotions

Dans la foulée de sa thèse sur l’expressivité de la parole et de la musique, Greg Beller s’intéresse au geste: manuel, vocal, musical, expressif… En 2014, il commence le projet SYNEKINE, pour observer l’expressivité de ces gestes. L’ultime but étant de créer une langue plus adéquat à l’expression humaine.

Il est très simple pour un être humain lambda de parler avec ses mains. Neurologiquement, le langage gestuel semblerait avoir précédé la parole. Si on observe attentivement l’expressivité des gestes manuels, produits simultanément à des syllabes, par exemple, on peut, par transfert, prêter certaines qualités expressives aux sons du langage.

Pour observer l’expressivité de cette double gestuelle singulière, dans un contexte de “laboratoire”, rien de tel que la saturation cognitive! La méthode consiste donc à créer des scénarii originaux, des singularités technologiques ou des nouveaux jeux, comme autant de facteurs de diversion, machines à lapsus favorables à l’émergence d’expressions spontanées.

Par le recueil et l’analyse de ces fossiles de l’expression, le projet SYNEKINE catégorise les sons du langage et rêve de les réorganiser en une langue plus fidèle à l’expression de nos émotions. Par effets de bord, cette quête donne naissance à de nouveaux instruments de musique, ainsi qu’à de nouveaux processus créatifs. Leur exercice, associé à la démarche générale du projet, forment un programme pédagogique original complet, mêlant la pratique et la théorie.

De manière naturelle, la prononciation de certaines syllabes s’accompagne de certains gestes. Ce phénomène, impliquant tout le corps dans une expression globale, est mal connu, alors que tout un chacun peut l’observer. Certaines paires de gestes manuels et vocaux, semblent ancrées en nous depuis toujours. Il nous suffit de les convoquer pour les faire apparaître. Elles ont de multiples origines, à la fois culturelles et neurologiques. Nous observons ces mariages spontanés et questionnons leur robustesse intra-individuelle, ainsi que leur similarité inter-individuelle. Par transposition, l’observation des aspects expressifs du langage gestuel, permet l’observation de l’expressivité intrinsèque d’une langue. Par exemple, certaines syllabes semblent plutôt introverties, tandis que la production d’autres convoque plus d’énergie…

Nous fabriquons des jeux performatifs pour provoquer et observer ces paires de gestes. Une sorte de “téléphone arabe”, avec des phrases combinant gestes et voix. Ou encore, un jeu de miroir pour deux, dans lequel un des deux participants contrôle les gestes de l’autre par sa voix, et vice et versa… Ces jeux provoquent notamment la désinhibition au sein d’un groupe, le développement de la confiance en soi et en l’autre, ainsi que la naissance d’une écoute particulière faisant intervenir le regard.

Du côté scientifique, un protocole expérimental d’acquisition permet l’analyse statistique de ce lien pourtant intime, qui relie la vocalité au mouvement dans l’espace. Un site internet est en développement pour que chacun puisse participer à cette aventure de là où il veut. A partir de l’analyse et de la catégorisation de ces gestes, nous souhaitons faire émerger des profils psycho-phonétiques expressifs de chaque syllabe: Syllabe arrondie, extravertie, puissante… De cette classification expressive, nous pourrons ensuite tirer les bases de notre nouvelle langue, dont la sonorité sera plus en lien avec le contenu qu’elle exprime.

Car en effet, pour nous, un mot qui “sonne” est un mot dont la forme est en symbiose expressive avec le fond qu’il exprime. C’est le cas de la plupart des onomatopées. Par exemple, en Français, le mot “patatras” pourrait être un mot dont hériterait notre vocabulaire, car sa sonorité illustre directement l’action qu’il décrit. Non seulement nous récoltons ces mots-abîmes, mais nous voulons en créer de nouveaux, grâce à ces expériences ludiques et socio-linguistiques.

Une manière de faire émerger ces gestes “synékiniens” ou paires synchrones de gestes vocaux et manuels, est de détourner volontairement l’attention en situation de performance. Convoquer le naturel par l’artifice. Il s’agit bien ici de boucler la boucle, pour en observer la partie dissimulée. Le performer manipule sa propre voix par le geste, grâce à des capteurs de mouvements reliés à un microphone. Tout en explorant ce nouveau potentiel, il donne ça et là, de manière plus ou moins volontaire, des fragments bruts de son code expressif. Pour cela, un ensemble d’instruments innovants lui permet de jouir d’un rapport artificiel entre ses gestes et le son de sa voix. Ces instruments, au delà du rôle de révélateur, sont autant d’outils de création, que chaque performer s’approprie pour définir un langage propre, à mi-chemin entre la danse et le chant.

En résumé